Source: wired.com
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Au début de l’histoire de la planète, les premières formes de vie furent terriblement lentes à apparaître et à se développer (cf. article Des abysses de temps). L’évolution par simple mutation aléatoire n’avance pas vite, surtout s’il y a peu de pression sélective, c’est-à-dire peu de facteurs susceptibles d’accélérer ou ralentir le succès reproducteur. Puis, peu à peu, les choses sont allées de plus en plus vite. Pourquoi ? Quels sont les principaux moteurs de l’évolution ?
La vitesse de l’évolution. Pour notre esprit, une des difficultés associées à la théorie de l’évolution est de parvenir à se figurer comment le processus aveugle de la sélection naturelle a pu créer une telle diversité d’adaptations, toutes si fascinantes, complexes et perfectionnées. Difficile de concevoir que ceci a pu être créé par le simple processus de variation-sélection-rétention (décrit dans l’article Les bases de l’évolution).
La question du caractère graduel et par extension celle de la vitesse de l’évolution est un sujet qui fait débat même chez les spécialistes. La première chose à souligner est le fait que l’évolution s’étale sur des centaines de millions d’années. La théorie classique de l’évolution repose ainsi sur un lent gradualisme, qui est difficile à appréhender pour notre esprit, mais tout à fait réaliste étant donné les échelles de temps en question.
La théorie des équilibres ponctués complète néanmoins l’approche gradualiste classique et montre que l’évolution peut connaitre de longues périodes de calme ponctuées par des périodes de changements relativement abruptes, par exemple à cause de modifications subites de l’environnement. Ces périodes de changement plus rapides sont étroitement associées à la notion de pression sélective, qui peut accélérer l’évolution.
À gauche, situation où les organismes se différencient peu à peu. À droite, situation où les changements sont plus abrupts.

Dans l’article précédent (Émergence de la complexité), nous avons commencé à évoquer certains mécanismes qui peuvent générer des pressions sélectives en créant des circonstances plus ou moins favorables à la survie et à la reproduction des organismes. Il s’agit pour l’essentiel d’un jeu complexe entre divers processus de coopération et de compétition. Regardons maintenant tout cela de plus près.
L’environnement au sens large. Au-delà de la température, de l’humidité, de l’altitude ou d’autres facteurs dits abiotiques (c’est-à-dire non-vivants), le concept d’environnement revoie aussi aux autres organismes. Il peut s’agir de congénères, de concurrents ou de partenaires; des organismes qui sont une menace ou une ressource; des organismes qui sont de différentes tailles et de différentes natures, des plus grands prédateurs aux plus petits parasites.
Une grande partie de l’environnement est constituée par d’autres organismes
Dans la mesure où tous les êtres vivants sont extrêmement interdépendants, la notion d’environnement est en fait très difficile à délimiter précisément. Par exemple, on sait depuis quelques années que le système digestif de nombreux animaux repose sur une symbiose avec de nombreuses bactéries. Sans ces bactéries, l’animal est incapable de digérer correctement. Ces bactéries font elles partie de son environnement ou de son organisme ?
Ainsi, en grande partie, l’environnement, c’est les autres. De ce fait, il y a une inévitable coévolution massive entre la plupart des êtres vivants. Comme nous allons le voir, cette coévolution peut prendre de nombreuses formes et être à l’œuvre à de nombreux niveaux.
Exemple de coévolution: Certaines fleurs ont évoluées de sorte à être adaptées spécifiquement à certains pollinisateurs (oiseaux ou insectes), et vice versa.

Coévolution. Le terme de coévolution renvoie d’une façon générale aux influences réciproques entre deux ou plusieurs espèces au cours de leur évolution. Le terme est vaste, recouvre beaucoup de situations et reflète divers processus omniprésents dans la nature. Petit panorama, en commençant par les notions très générales de compétition et de coopération.
D’une manière générale, des organismes sont en compétition quand leur succès reproducteur dépend des mêmes ressources limitées (nourriture ou territoire, par exemple). Des conflits émergent souvent de cette situation de compétition et accélèrent l’évolution des espèces; de nombreux traits peuvent être ainsi favorisés (taille, force, habilité, acuité perceptive, intelligence, etc.)
La coopération, contrairement à la compétition, renvoie à toutes les situations dans lesquelles des organismes retirent des bénéfices de leurs interactions. Ce bénéfice peut être direct (meilleur taux de survie, meilleur succès dans la recherche de nourriture) ou indirect (comme par exemple dans la coopération altruiste, sur laquelle nous reviendrons dans les prochains articles).
Au-delà des termes généraux de compétition et de coopération, on peut décrire quatre formes d’interaction biologique plus spécifiques: la relation proie-prédateur, le parasitisme, le commensalisme et le mutualisme. Ces quatre principaux modes d’interaction sont décrits ci-après.
La relation proie-prédateur, un moteur majeur de l’évolution

- La relation proie-prédateur: la relation entre les proies et les prédateurs est un cas particulier de compétition et peut-être un des meilleurs exemples de coévolution. C’est le cas typique d’interaction biologique qui mène à ce qu’on appelle une course à l’armement. D’un côté l’évolution favorise les meilleurs chasseurs; de l’autre, les proies les plus aptes à éviter les attaques. Les prédateurs aussi bien que les proies subissent donc sans cesse des pressions sélectives importantes, les uns pour parvenir à se nourrir, les autres simplement pour survire.
- Parasitisme: la relation hôte-parasite est similaire à la relation proie-prédateur, c’est une relation de compétition avec un « perdant » et un « gagnant ». Le parasite vit au détriment de l’hôte, en consommant ses ressources ou en menaçant sa santé, parfois jusqu’à compromettre son existence. Une course à l’armement peut également avoir lieu entre l’hôte et le parasite.
Moteur essentiel de l’évolution, la coévolution se décline de mille façons
- Commensalisme: le commensalisme se situe à « mi-chemin » entre le parasitisme et le mutualisme; il s’agit d’une interaction entre deux espèces qui est profitable à l’une tout en étant neutre pour l’autre. Celui qu’on appelle le commensal est donc comme un parasite « qui ne dérange pas », qui ne compromet pas la survie de l’autre espèce (comme les moineaux qui mangent les miettes de nos croissants).
- Mutualisme & symbiose: le terme de mutualisme décrit une interaction entre deux ou plusieurs espèces où chaque espèce retire un bénéfice net. Il s’agit souvent d’une relation stable et à long terme, comme par exemple entre les plantes à fleurs et les insectes pollinisateurs; on parle alors de symbiose mutualiste. Dans les cas d’endosymbiose, il y a une véritable intégration entre l’hôte et le symbiote, comme entre certaines bactéries et le système digestif de divers animaux.
Le poisson-clown et l’anémone se protègent mutuellement de leurs prédateurs

Reproduction sexuée et sélection sexuelle. Un autre moteur évolutif, moins intuitif de prime abord, est lié à la reproduction sexuée et à la compétition qui en découle entre individus au sein d’une espèce.
Les êtres vivants peuvent se reproduire de manière sexuée ou asexuée. La reproduction asexuée est plus rapide, plus simple et moins couteuse; elle ne requiert aucun partenaire et permet une duplication de tout le génome de l’organisme. La reproduction sexuée implique deux parents et la combinaison de leurs gamètes. Les organismes ne dupliquent alors que de la moitié de leurs gènes. Ceci parait étonnant du point de vue du gène, qui « préfère » la duplication pure et simple par reproduction asexuée. Alors pourquoi la reproduction sexuée ?
La reproduction sexuée permet une plus grande diversité génétique de la descendance, qui augmente la probabilité de survie dans un environnement complexe. Une descendance variée augmente les chances qu’au moins quelques individus soient vraiment bien adaptés. S’ils sont tous identiques et que l’environnement est peuplé d’autre organismes qui s’adaptent rapidement, le risque est grand que toute la descendance soit décimée par un parasite ou un prédateur. La reproduction sexuée offre donc un potentiel d’adaptation et d’évolution plus important que la reproduction asexuée.
La reproduction sexuée augmente le potentiel d’adaptation de la descendance
La reproduction sexuée implique une compétition entre individus pour l’accès aux partenaires sexuels: c’est la sélection sexuelle. Chez de nombreuses espèces, cette sélection sexuelle prend la forme d’une compétition entre mâles suivi d’un choix par la femelle. Ce processus mène souvent à un « emballement évolutif », similaire à une course à l’armement. Ceci peut mener à l’évolution rapide de différents traits qui augmentent le succès reproducteur des mâles choisis par les femelles (taille, agressivité, habilité, intelligence, ornement, etc.).
La queue du paon, exemple typique d’ornements inutiles à la survie (voire défavorables), qui sont expliqués par la sélection sexuelle

Nous reviendrons plus loin sur d’autres stratégies associées à la reproduction, notamment sur les stratégies de coopération et compétition entre les sexes, en particulier en relation avec l’investissement parental et les soins aux petits. Pour l’instant, soulignons simplement que la reproduction sexuée implique (encore une fois) une tension entre compétition et coopération.
Le tableau ci-dessous présente un récapitulatif des différentes interactions biologiques évoquées jusqu’ici. La plupart de ces interactions sont une sorte ou une autre de coévolution; toutes constituent d’importants moteurs de l’évolution.
Récap. Quelques exemples de coopération et compétition à différents niveaux du vivant

Conclusion de cette partie I. La théorie de l’évolution est à la fois simple et révolutionnaire. À l’aide du mécanisme de variation-sélection-rétention elle permet d’expliquer comment la vie est apparue et s’est complexifié petit à petit, puis de plus en rapidement grâce à divers processus de coévolution. Cette théorie permet de dépasser les explications téléologiques des religions, qui ramènent tout à Dieu, et les descriptions mécaniques de la science pré-Darwinienne, qui n’explique rien et ne fait que décrire.
L’évolution replace l’être humain au sein du règne animal, tout en permettant d’expliquer plusieurs phénomènes sophistiqués. L’évolution montre comment des prouesses de conception ont pu émerger sans aucun créateur. Après avoir explorés les bases de l’évolution dans ce chapitre, nous allons mesurer dans le suivant toute l’étendue de son pouvoir explicatif, en particulier en ce qui concerne l’évolution de l’être humain, de son langage, de sa sociabilité, de son intelligence ou encore de sa culture.