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Dans cet article nous allons nous intéresser à l’émergence du genre humain, depuis le premier âge d’or des primates jusqu’à l’apparition d’homo sapiens, en passant par les australopithèques et Neandertal. Nous verrons que l’évolution de sapiens n’est pas simple et linéaire.
Des primates aux hominidés. Il y a environ 65 millions d’années, c’est le crépuscule des dinosaures et l’avènement des mammifères, qui existent déjà depuis longtemps mais qui vivaient jusqu’alors dans l’ombre des dinosaures. À cette époque, le climat de la terre est plutôt chaud; les forêts tapissées de plantes à fleurs et à fruits font le paradis des primates. La plupart sont de petite taille et vivent essentiellement dans les arbres.
Après ce premier âge d’or des primates, c’est ce qu’on appelle la « Grande Coupure », il y a environ 35 millions d’années, marquée par une chute des températures et de nombreuses extinctions. Les singes se réfugient en Afrique, avant de se disperser à nouveau en Eurasie. Bon nombre de ces singes sont végétariens à tendance omnivore et vivent déjà en groupe sociaux. Très adaptables, ils évoluent en plusieurs espèces et occupent diverses niches écologiques, du sol à la cime des arbres.
Notre histoire est associée à de nombreux évènements climatiques majeurs
Il y a 15 millions d’années, les premiers hominoïdes apparaissent (ancêtres communs aux humains, aux orangs-outangs, aux gibbons, aux chimpanzés et aux gorilles). Ils sont plutôt grands et possèdent des dents robustes qui leur permettent une alimentation variée. Il existe peu de traces de cette période qui est par conséquent assez mal connue. La lignée des hominidés et notre dernier ancêtre avec le chimpanzé (notre plus proche cousin) se situe un peu tard, quelque part entre 5 et 10 millions d’années.
Vers 4 millions d’années, les australopithèques rayonnent alors dans toute l’Afrique. Certains d’entre eux sont bipèdes; ils possèdent également des mains proches de celles des humains. Ils évoluent dans un paysage varié (savane arborée, forêt denses, lacs, marais). Ils ont des mâchoires robustes faites pour broyer des nourritures coriaces. Ils se nourrissent de fruits, de feuilles, de racines, de tubercules et occasionnellement de viande.
L’évolution des Homininés depuis 10 Ma

Les australopithèques ont des cerveaux dont la taille est comparable à un cerveau de chimpanzé (350-400 cm3), mais dont l’organisation ressemble déjà à celle des cerveaux humains. Ils vivent en communauté de plusieurs dizaines d’individus; les groupes se font et se défont en fonction de l’abondance ou de la raréfaction des ressources. Ce mode de vie implique une bonne connaissance de l’environnement et une grande subtilité des rapports sociaux.
Entre 3 et 2.5 millions d’années, un évènement climatique global impose une longue sécheresse en Afrique, qui provoque un important recul des forêts. Les australopithèques disparaissent.
Émergence du genre homo. Vers 2.5 millions d’années, c’est le début de la préhistoire; les premiers représentants du genre homo apparaissent (homo habilis, homo rudolfensis) ainsi que les paranthropes, un genre proche des australopithèques. Plusieurs de ces espèces utilisent des outils et s’installent dans des camps. Ces camps supposent une organisation sociale avec une distinction entre les membres intérieurs à la communauté et les autres, ainsi qu’un partage de nourriture et des matières utiles à la construction d’abris ou à la fabrication d’outil.
Homo habilis a un cerveau plus gros que les australopithèques (600-700 cm3 contre 400-500 cm3) et une face haute, avec une partie inférieure moins robuste. La différence de taille de cerveau est considérable, d’autant plus qu’homo habilis présente une stature similaire à celle des australopithèques.
Le cerveau est également plus complexe et mieux organisé; le développement de certaines aires spécifiques indique une capacité de relation plus sophistiqué avec l’environnement et les congénères. On constate également pour la première fois un développent qui correspond à l’aire cérébrale dédiée au langage. (Les anthropologues arrivent à ces conclusions en reconstituant la forme du cerveau à partir des reliefs à l’intérieur du crâne.)
Le genre homo émerge et se développe sur plusieurs centaines de milliers d’années
Au niveau morphologique, le squelette locomoteur reste assez similaire à celui des australopithèques. Homo habilis a encore des mœurs très arboricoles et une aptitude à la bipédie qui n’est que partielle. Sa dentition est en revanche déjà assez similaire à celle des humains actuels. L’appareil masticateur est moins robuste et reflète un régime plus omnivore. La main est à la fois humaine et archaïque; le pouce s’articule comme chez l’homme moderne, mais il est moins mobile et moins précis. À bien des égards, homo habilis se situe à mi-chemin entre les australopithèques et les hommes modernes.
Homo rudolfensis estsimilaire à homo habilis, en plus robuste et plus corpulent. Les paranthropes quant à eux ressemblent à des australopithèques également plus robustes. Ils ont une mâchoire extrêmement puissante. Tous deux ont un cerveau comparable à celui d’homo habilis, un organe gourmand en énergie. Leurs puissantes mâchoires étaient d’ailleurs probablement là pour permettre de manger beaucoup de végétaux, racines et tubercules nécessaires au maintien de cet organe coûteux.
Homo habilis pouvait se dispenser de telles mâchoires car son régime omnivore était plus riche. Il chassait des petites proies, exploitaient les carcasses des grands herbivores et parfois chapardait les proies que certains prédateurs (par exemple des léopards) laissaient dans les arbres. Ceci dit, homo rudolfensis et les paranthropes n’étaient pas strictement végétariens et mangeaient de la viande à l’occasion; mais ils étaient probablement plus spécialisés dans l’utilisation d’outil permettant d’extraire des racines et tubercules.
Le genre humain est né sous le signe de la diversité
En définitive, tous utilisaient des outils, tous étaient omnivores et capables d’adapter leur régime aux ressources disponibles; tous vivaient en groupes sociaux organisés, tous étaient capables d’assurer leur survie grâce à des stratégies complexes et variées. Ces espèces ont longuement cohabité et il est difficile d’établir à partir de quand exactement le genre homo se sépare vraiment de ses ancêtres.
La définition du genre homo peut se baser sur l’évolution d’un seul trait particulier (bipédie partielle; utilisation occasionnelle d’outil; taille du cerveau). Dans ce cas, le genre homo est très vaste et hétérogène; il devrait alors aussi inclure les australopithèques et les paranthropes. Une définition alternative et plus précise insiste sur le regroupement de plusieurs traits (bipédie exclusive, adaptation à des milieux ouverts et usage permanent d’outils). Selon cette seconde définition, le genre homo ne commence vraiment qu’avec homo ergaster.
D’homo ergaster à homo sapiens. Vers 1.9 millions d’années, c’est l’apparition du genre homo ergaster (parfois aussi appelé « homo erectus africain »). Originaire d’Afrique, il ira jusqu’en Chine et aux portes de l’Europe. Ce n’est pas clair si homo ergaster descend d’homo habilis ou s’il vient d’ailleurs. En tous cas, les deux espèces cohabitent pendant des centaines de milliers d’années.
Squelette d’un homo ergaster, « Turkana Boy »

Homo ergaster se distingue assez nettement d’homo habilis. Il est taillé pour la marche et la course, avec de longues jambes et un buste allongé. C’est un chasseur de gros gibier, il est capable de se déplacer et de poursuivre ses proies sur de vastes distances. Son territoire est organisé en différents sites; il aménage notamment des caches à outils et des ateliers de boucherie sur les sites de chasse.
Son cerveau de 800 cm3 est d’une taille encore inférieure à celle des humains modernes (1400 cm3), mais son organisation structurelle est déjà similaire, notamment en ce qui concerne les aires liées au langage, très développées. Homo ergaster invente des outils et des armes relativement variées; il construit les premiers campements et manipule le feu. Son langage est de plus en plus élaboré: un développement sans doute accéléré par les besoins d’une vie sociale de plus en plus complexe.
Entre 2 millions et 1 millions d’années, un refroidissement de la Terre constitue un défi pour de nombreuses espèces. Homo ergaster, grâce à son aptitude à la migration, sera un des rares hominidés à survivre à cette période. Homo habilis et les paranthropes finiront par s’éteindre, comme les australopithèques avant eux. Les changements climatiques contraignent les hommes à migrer.
L’évolution du genre homo depuis 5 Ma

Cette période critique de la « sortie d’Afrique » est mal connue. Plusieurs éléments s’accordent sur une expansion très ancienne d’homo ergaster en Asie, il y a environ 1.7 millions d’années. La lignée asiatique d’homo ergaster donnera lieu à homo erectus. Quant à la lignée d’homo ergaster restée en Afrique, elle reste très peu documentée.
Pour ce qui est de la conquête de l’Europe, les estimations de l’apparition du genre homo dans cette région sont très variables et vont de 1.5 millions d’années à 500 000 ans. Difficile de déterminer dans quelles proportions et avec quelles temporalités exactes la migration venait d’Asie ou d’Afrique du Nord, via l’Espagne. Une espèce appelée Homo heidelbergensis pourrait être l’ancêtre à la fois des hommes de Neandertal et des hommes de Cro-Magnon.
Les origines de sapiens sont buissonnantes et mystérieuses
L’histoire évolutive des Néandertaliens est celle qui est la mieux connue. L’homme de Neandertal a longtemps été considéré comme une brute primitive. Et pourtant, les Néandertaliens possèdent un plus grand cerveau que sapiens (1600 cm3), ils enterrent leurs morts et ont le sens de l’entraide (prise en charge des individus blessés par exemple). Ils fabriquent des parures et des outils; ils chassent toutes sortes d’animaux et sont également capables d’exploiter les ressources maritimes.
Les Néandertaliens connaissent un long succès évolutif de plusieurs dizaines de milliers d’années. Ils sont particulièrement adaptés au climat Européen. Certaines populations migrent le long de la Méditerranée puis jusqu’au Moyen Orient où elles rencontrent les prédécesseurs directs des hommes de Cro-Magnon (c’est-à-dire des homo sapiens, qui descendent des homo ergaster asiatiques). Ces deux populations occupent cette région pendant 50 000 ans, partageant les mêmes techniques de chasse et de subsistance.
Reconstitution d’une scène de vie dans une grotte habitée par des hommes de Néandertal

Un peu plus tard, les Néandertaliens et les hommes de Cro-Magnon cohabitent également pendant plusieurs milliers d’années en Europe. Leurs cultures étaient vraisemblablement très proches et se sont sans doute influencées mutuellement. On sait également qu’il y a eu reproductions croisées entre les deux genres; les études génétiques montrent que 1 à 4 % du génome des Homo sapiens non africains provient des Néandertaliens.
Puis les Néandertaliens ont fini par disparaître il y a environ 30 000 ans. Difficile de savoir s’il y a eu une guerre, et si oui de quelle importance. Il est possible que sapiens ait bénéficié d’une dynamique démographique ascendante grâce à des techniques de chasse plus efficaces et une aptitude au langage plus développée. Ceci alors que Neandertal subissait une dynamique inverse, en étant acculé dans des territoires où la survie devenait de plus en plus difficile.
Au final, l’homo sapiens actuel provient de nombreuses sources différentes, sans doute brassées plusieurs fois et de différentes façons. Pour les populations européennes, on constate par exemple plusieurs vagues de migration venues du Proche-Orient ou d’Europe orientale, étalées sur plusieurs dizaines de milliers d’années. Ainsi, l’Homme de Cro-Magnon n’a en moyenne qu’une contribution de 10 ou 15% dans le patrimoine génétique des Européens actuel.
À partir de 50 000 ans environ, sapiens conquiert la planète entière. Lors des 40 ou 50 derniers millénaires, l’évolution humaine est tout simplement fulgurante. Ceci est dû essentiellement au fait que cette évolution n’est plus seulement biologique, mais aussi culturelle. De nombreux processus évolutifs sont ainsi beaucoup plus rapides. Nous y reviendrons. Avant cela, nous verrons dans le prochain article en quoi l’être humain est une espèce vraiment à part – ou pas.