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Dans les précédents articles de cette partie, en particulier Perception et cognition et Émotions et personnalité, nous nous sommes focalisés sur des caractéristiques relativement élémentaires, que nous partageons avec d’autres animaux, mammifères sociaux en tête. Il était indispensable de traiter ces questions avant d’aborder les celles autour de la conscience et du soi, réputées très difficiles.
L’âme humaine. Comment la science peut-elle prétendre aborder une question si complexe? Le sentiment subjectif d’être soi; l’inextricable entrelacement de motivations, d’espoir et de regrets qui nous composent; la somme de tous nos tourments et de toutes nos joies, l’infinie subtilité de nos innombrables états d’âme, aussi changeants qu’ineffables… Mais au-delà d’une telle description dramatique, notre existence est-elle vraiment toujours d’une telle profondeur?
Le mystère de la conscience n’est pas si impénétrable qu’il n’y paraît
Certes, l’intelligence, le langage et la culture donnent à chaque être humain une richesse et une complexité sans égal dans le règne animal. Mais la plupart du temps, nous agissons de manière automatique. Le plus souvent, nous utilisons le langage pour atteindre des objectifs de communication très terre à terre. Et quant à notre «culture», elle se résume souvent à des traditions culinaires et à des divertissements. En fait, rares sont les moments où nous sommes plongés dans des réflexions sur le sens profond de notre existence; rares sont les moments où nous sommes pleinement conscients.
Il n’en demeure pas moins que la question de la conscience est l’une des plus difficiles en psychologie. Un problème fondamental concerne la définition même de ce concept. Qu’est-ce que la conscience? L’attention au moment présent? La perception de notre corps, de notre vécu émotionnel? Notre concept de soi, la somme de nos expériences et de nos projets? Notre voix intérieure? Nos réflexions sur nous-même et le sens de l’existence?
L’attention. Commençons par l’attention. J’aurais pu parler de cette aptitude cognitive dans l’article Perception et cognition, mais je l’ai délibérément gardé pour cet article sur la conscience, tellement les notions de conscience et d’attention sont étroitement liées. En effet, dès que l’on parle de conscience, on focalise immédiatement notre attention sur notre vécu intérieur – notre corps, nos sentiments, notre histoire, nos idées, etc. Cette focalisation semble apporter la preuve immédiate et irréfutable que nous sommes conscients, à un niveau unique et sans égal dans le règne animal.
Pourtant, l’attention n’est pas un mécanisme totalement propre à l’humain. Il s’agit d’une aptitude cognitive de haut niveau qui présente certains avantages évolutifs et que nous partageons partiellement avec d’autres espèces. En effet, la capacité à se focaliser sur un stimulus en particulier permet en général de mieux percevoir et de mieux ajuster son comportement, en particulier dans des situations complexes. L’optimisation de la perception et du comportement à l’aide de l’attention offre ainsi des avantages évolutifs indéniables.
L’attention est une capacité cognitive que nous partageons avec d’autres espèces
En d’autres termes, l’attention est un processus cognitif relativement général, qui présente, chez l’humain, certaines spécificités. En effet, au lieu de nous limiter à des processus attentionnels relativement basiques (par exemple pour guider et focaliser notre perception visuelle), nous pouvons tourner notre attention sur toutes sortes de phénomènes, y compris des phénomènes internes, comme quand on se focalise sur notre monde intérieur. C’est dans ce genre de moment que le sentiment d’être conscient est le plus élevé.
Sentiment de continuité et d’exhaustivité. Notre attention est toujours entre train de «flotter», prête à être attirée par toutes sortes d’informations potentiellement pertinentes. Le plus souvent nous ne remarquons pas ce flottement; nous avons plutôt l’impression d’être maître de notre attention. De plus, nous ne remarquons ni ces interruptions ni toutes les choses que nous ne percevons pas; nous avons au contraire une impression de continuité et d’exhaustivité dans la perception de notre environnement.
Pour illustrer à quel point le cerveau est un habile magicien, considérons quelques caractéristiques de notre perception visuelle. Premier point: il existe, pour chacun de nos deux yeux, ce qu’on appelle une tâche aveugle, c’est-à-dire un endroit «sans image», qui correspond à la partie de la rétine où s’insère le nerf optique. Nous ne voyons jamais ce «trou» dans notre système visuel car soit le cerveau synthétise l’information des deux yeux, soit il compense avec de l’information contextuelle ou des saccades oculaires.
Comment «voir» la tâche aveugle? Cachez un votre œil gauche. Avec le droit, fixez la croix et approchez-vous à environ 30 cm de l’image (ou plus près, si l’image est affichée en petit). À un moment donné, le rond disparait: c’est la tâche aveugle.

Mieux encore, la seule zone vraiment nette de notre champ de vision se limite à la fovéa, une petite zone au centre de la rétine, qui correspond à quelques degrés seulement de notre champ de vision. D’une manière générale, l’acuité visuelle est très pauvre pour tout ce qui se situe en périphérie du champ de vision. La capacité différencier les couleurs, par exemple, n’existe que pour la moitié du champ couvert par la vision binoculaire.
Ainsi la plupart de ce que nous voyons est flou et très approximatif. Cela ne correspond pas du tout au sentiment subjectif que nous avons de notre vision. Nous avons au contraire l’impression que tout est net et que nous avons toujours une perception précise de notre environnement.
Cette illusion émerge à partir de trois phénomènes-clé.
- Plusieurs éléments que l’on vient d’observer sont gardés en mémoire
- En général, l’information reste disponible dans l’environnement, il suffit de quelques saccades oculaires pour (ré)obtenir des informations
- Notre cerveau utilise des «modèles perceptifs», il projette certaines attentes et «bouche les trous» lorsque l’information est insuffisante
Champ de vision humaine

Perception, corps et environnement. Au-delà des questions liées à l’attention, une dimension importante de la conscience émerge de l’ensemble de nos perceptions. On peut distinguer ici la perception des signaux issus de l’environnement et la perception des signaux issus de notre corps. C’est la synthèse ou la confrontation de ces deux réalités qui nous permet de percevoir notre corps comme une entité distincte de l’environnement. Ces deux versants de la perception semblent essentiels à la conscience.
Une facette importante de la conscience regroupe ainsi toutes les sensations liées au fait d’être en vie, d’avoir un corps, des besoins physiologiques, des émotions, etc. Ces aspects relativement élémentaires sont présents chez de nombreux animaux non-humains, y compris les émotions, même si elles sont parfois très simples (plaisir, déplaisir, douleur, etc.). Plusieurs expériences en éthologie ont montré que de nombreux animaux pouvait avoir une conscience de soi et, par exemple, se reconnaître face un miroir. Bien sûr, chez les humains, la perception de soi est plus sophistiquée et englobe également des intentions, des motivations, des doutes, des regrets, etc.
En plus de la perception de notre monde intérieur, la richesse perceptive du monde extérieur va également participer à la construction de la conscience. L’idée de base ici est que plus la perception est riche, plus l’expérience du monde sera complexe et sophistiquée. À cet égard, les différences entre espèces sont considérables. Chez les humains et de nombreux oiseaux, par exemple, la perception visuelle occupe une place prépondérante; chez d’autres espèces, ce sont d’autres sens qui prédominent, avec des capacités qui surpassent souvent celles des humains.
Profils de conscience approximatifs pour trois types d’animaux. (Le soi, la temporalité et l’unité sont discutés un peu plus loin.)

Le concept de soi. Chez l’humain, la notion de conscience repose également beaucoup sur ce qu’on appelle le concept de soi. Avant de regarder de plus près le concept de soi, prenons quelques instants pour aborder, d’une façon plus générale, la notion de concept elle-même.
Dans l’article Perception et cognition, nous avons vu que les concepts sont, à l’origine, quelque chose de relativement concret, comme par exemple les concepts de «nourriture», «danger», «table», «chat», etc. Dans un second temps, le langage a permis une sophistication supplémentaire très importante, ne serait-ce que parce qu’il offre la capacité de nommer les concepts, ainsi que de lier les concepts entre eux et de créer des concepts qui se basent non plus sur le réel immédiat mais sur d’autres concepts. C’est ainsi que des concepts de plus en plus sophistiqué et abstraits ont pu émerger.
Le concept de soi appartient à cette catégorie de concepts très complexes et sophistiqués. Il se base tout d’abord sur la perception de notre corps et la distinction entre ce dernier et l’environnement. Il repose également en grande partie sur la mémoire, le souvenir de nos diverses expériences, en particulier celles avec une coloration affective importante. Notre concept de soi émerge également à travers nos désirs, nos intentions, nos motivations, etc. Il regroupe aussi nos caractéristiques physiques, nos aptitudes, nos traits de personnalité. Il est également en lien avec nos appartenances à différents groupes sociaux (sexe biologique, orientation sexuelle, groupe ethnique, sensibilité politique, classe sociale, centres d’intérêts, etc.). Enfin, le langage permet de lier tous ces aspects, de les rendre explicites, de raconter qui nous sommes et de réfléchir sur nous-mêmes.
Le concept de soi est, à bien des égards, un concept comme un autre
Le concept de soi est donc une vaste synthèse d’éléments très hétéroclites. C’est la combinaison de tous ces éléments qui donne lieu au fait que chaque personne est unique. Le caractère unique de chaque personne est peut-être le seul point non litigieux à propos du concept de soi. De nombreux autres, qui semblent une évidence de prime abord, sont en fait extrêmement discutables. Dans ce cadre, il semble essentiel de bien souligner les points suivants:
- Le concept de soi n’est pas propre à l’humain. Si la composante du langage est évidemment inaccessible aux autres animaux, beaucoup d’autres le sont, comme la distinction entre des événements corporels internes et des évènements dans le monde extérieur.
- Les frontières du concept de soi sont floues. Comme tous les concepts, les limites du concept de soi sont difficiles à délimiter. Est-ce que mon travail, mon domicile ou ma voiture font partie de mon concept de soi? Et quid de ma conjointe, mes enfants, mes amis, mes collègues?
- La perception de soi est imparfaite. Nos systèmes perceptifs et cognitifs sont en proie à toutes sortes de biais et d’erreur de jugement. La perception de soi et le concept de soi ne font pas exception. L’idée que nous avons de nous-même est approximative, partiale, incomplète.
- L’essentiel de notre existence se situe à un niveau inconscient. De nombreuses choses qui se passent dans notre corps (perceptions, émotions, processus cognitifs) sont inaccessibles à la conscience. La perception de soi n’est que la pointe de l’iceberg de notre existence.
- Le sentiment de continuité du soi est une illusion. À presque tous les égards, la personne que j’étais à l’âge de 2 ans ne ressemble en rien à celle que je suis aujourd’hui à 40 ans passés. Même les cellules de mon corps ont, pour la plupart, été renouvelées. Pourtant, j’ai l’intime conviction de posséder un «moi» immuable.
Unité, temporalité, intégration. Même si c’est en partie une illusion, les sentiments d’unité et de continuité sont des caractéristiques essentielles de la conscience. L’expérience consciente de tout être humain apparaît en effet comme très unifiée; nous avons essentiellement une seule perspective sur le monde (la nôtre) et toutes les choses dont nous sommes conscients font partie de cette perspective.
Notre expérience du monde prend également la forme d’un flux continu. À un niveau perceptif tout d’abord, nous percevons le mouvement comme un phénomène dynamique en tant que tel, et pas comme une succession d’images saccadées. Il existe dans notre cerveau des structures dédiées à la perception du mouvement, voire même à l’inférence du mouvement. Il s’agit encore une fois d’une situation où le cerveau «projette» du sens et des attentes sur la réalité.
La question de la temporalité renvoie aussi à des échelles de temps plus grandes. On retrouve ici un rôle central des capacités de mémoire épisodique ou autobiographique, c’est-à-dire le souvenir des évènements avec leur contexte et leur pertinence pour l’individu. Plus la mémoire autobiographique est riche, plus les souvenirs sont nombreux, plus la conscience est riche. La temporalité sur le temps long implique également des capacités cognitives de planification et d’anticipation.
À nouveau, si les capacités humaines sont exceptionnelles dans ces domaines, d’autres animaux disposent également de capacités similaires. En effet, de nombreux oiseaux et mammifères (corvidés, grands singes, cétacés) sont capables de se souvenir de divers événements adverses ou favorables (liés à l’environnement ou à des congénères spécifiques) ainsi que d’anticiper des circonstances difficiles et par exemple de planifier des stocks de nourriture.
Plus spécifiquement, et pour revenir à l’être humain, la question de la temporalité sur le temps long est étroitement liée à celles du soi, au sentiment d’unité et à l’illusion de continuité. Un point crucial ici est le fait que le cerveau est fondamentalement «une machine à intégrer», «une machine à créer du sens». Cela est vrai à un niveau perceptif très élémentaire, notamment dans le domaine de la perception visuelle, comme évoqué au début de cet article.
Le travail d’intégration et d’unification réalisé par le cerveau est phénoménal
Jamais nous ne réalisons que notre perception du monde est à la fois très incomplète et massivement basée sur les attentes que le cerveau projette sur le monde. Jamais notre perception nous donne l’impression d’être une somme de petits éléments éparses et déconnectés (les couleurs, les contrastes, les mouvements, les sons, les odeurs, etc.); nous avons toujours l’impression que tout n’est qu’une seule et unique « grande perception ».
Ainsi, la conscience au sens large (l’expérience d’unité et de continuité de nos perceptions et de notre vécu, le sentiment de posséder un soi immuable, etc.) n’est peut-être qu’une généralisation de ce phénomène d’intégration.
Bugs du cerveau. Une approche intéressante pour mettre en évidence certains aspects spécifiques du fonctionnement de notre cerveau – et par extension de notre esprit – est de considérer différentes situations anormales.
Un premier phénomène, classique dans l’étude de la perception et de la conscience, est celui de l’hallucination. Une hallucination est une perception en l’absence d’un stimulus externe (contrairement à une illusion, qui reste basé sur un stimulus externe). Les hallucinations peuvent se manifester en lien avec maladies mentales, la prise de certaines drogues, ainsi qu’en cas de forte fièvre ou de déprivation sensorielle. Elles mettent en évidence le fait que le cerveau peut créer des perceptions «à partir de rien», ce qui constitue une version extrême des fameuses «attentes perceptives» et «projections sur le monde» que nous avons évoquées plusieurs fois.
Autre phénomène extrême: l’expérience de hors-corps. Il s’agit d’un phénomène par lequel une personne perçoit le monde à partir d’un endroit situé en dehors de son corps physique, comme si elle en était sortie. En fait, ces expériences sont associées à un dysfonctionnement d’une partie relativement spécifique du cerveau, le carrefour temporo-pariétal, qui intègre les informations provenant de l’environnement extérieur et de l’intérieur du corps.
Un second phénomène à l’allure paranormale est celui de la paralysie du sommeil, qui est un état dans lequel une personne est réveillée mais incapable de bouger ou de parler. Cet état est lié au fait que la paralysie musculaire (normale pendant le sommeil) reste anormalement maintenue alors que la personne est éveillée. Comme dans le cas de l’expérience hors-corps, un petit bug dans le cerveau crée des conséquences perceptives absolument massives, totalement surréalistes, voire carrément effrayantes.
L’atteinte de certaines structures cérébrales met en évidence la complexité du cerveau
Continuons l’aventure avec deux autres états étonnants: l’héminégligence et le syndrome du cerveau scindé. L’héminégligence est un état dans lequel, après une lésion au cerveau (par exemple due à un AVC), une personne présente une incapacité à traiter et à percevoir les stimuli d’un côté du corps ou de l’environnement. Un patient hémi-négligent va par exemple ne manger que la moitié droite de son assiette ou ne dessiner que la moitié gauche d’un visage. L’aspect le plus spectaculaire de cette pathologie est que les patients n’ont pas conscience de la négligence; ils ne perçoivent pas qu’ils ne perçoivent pas.
Horloge et maison dessinées par une personne héminégligente

Le syndrome du cerveau scindé apparait quant à lui lorsque que le corps calleux du cerveau est endommagé ou sectionné. Le corps calleux est la structure qui relie les deux hémisphères cérébraux et assure la communication entre eux. L’absence de communication entre hémisphères implique des symptômes étonnants, comme par exemple l’incapacité à nommer une image présentée dans la moitié gauche du champ visuel. Ceci s’explique par le fait que l’image vue dans le champ visuel gauche, qui est envoyée vers le côté droit du cerveau, ne peut pas être transmise à l’autre hémisphère cérébral où se trouve l’aire du langage (l’hémisphère gauche, chez la plupart des gens).
Le fonctionnement normal de la perception et de la conscience est un équilibre fragile
On pourrait encore mentionner ici toutes sortes d’amnésies (incapacité à former de nouveaux souvenirs, incapacité à récupérer des informations en mémoire à long terme), d’agnosies (incapacité à reconnaître certains stimuli malgré un fonctionnement normal des systèmes perceptifs) ou d’apraxies (incapacité d’exécuter des mouvements intentionnels précédemment appris). La liste des pathologies étonnantes liées au dysfonctionnement de certaines régions cérébrales est presque infinie! Tous ces exemples mettent en évidence à quel point la perception et la conscience normales sont fragiles et reposent des intégrations complexes entre de nombreuses structures cérébrales.
La conscience comme «interface utilisateur». Les éléments évoqués jusqu’ici commencent à mettre en évidence le fait que la conscience peut être vue comme une sorte d’interface utilisateur. En d’autres termes, le cerveau nous fournit toutes sortes d’informations, sur nous-mêmes et sur le monde. Ces informations ne sont ni stables, ni complètes, ni objectives, mais le cerveau nous raconte toujours une histoire qui semble aller de soi, qui semble être la réalité pure et simple. Le travail de filtrage, de construction, d’intégration et de narration réalisé par cet organe est absolument phénoménal.
La conscience est un objet d’étude scientifique extrêmement complexe. Non seulement à cause de la complexité propre au cerveau, mais aussi parce que cela touche à ce que nous avons de plus intime: nos perceptions et nos convictions sur le monde et sur nous-mêmes. Beaucoup de personnes ne sont pas à l’aise avec cette idée que le cerveau construit une sorte d’illusion, que notre vie intérieure se situe à mi-chemin entre une «représentation objective» du monde et une «hallucination contrôlée», que nous sommes parfois dupes de nous-mêmes, voire carrément victimes de notre cerveau.
Pourtant, l’évolution a façonné la conscience humaine comme elle façonné les systèmes perceptifs plus élémentaires: en privilégiant ce qui est utile à la survie de l’organisme et non pas une quelconque «vérité objective». Les implications de cette perspective sont nombreuses et difficiles à saisir; une partie importante du reste du projet Humain X.0 est destinée à aborder certaines d’entre elles.
Conclusion de la partie III
D’une manière générale, plusieurs points discutés dans cette partie peuvent apparaître comme très techniques ou très philosophiques, mais leurs implications sont parfois très concrètes. Je reprends ici brièvement certains points-clés, en expliquant en quoi ils sont pertinents dans une perspective relativement pragmatique. J’indique également dans quelles parties suivantes du livre nous reviendrons sur certains d’entre eux.
Distinction soi-environnement. La question de la (non) distinction entre le soi et l’environnement est une question qui peut certes faire l’objet de débats sans fin, qui semblent loin des besoins urgents du quotidien. Toujours est-il qu’à bien des égards, notre corps est impossible à séparer de l’environnement. Il suffit de penser à l’eau, à l’oxygène et à la nourriture dont nous avons besoin pour survivre ou, sur un autre plan, à tous les liens avec nos congénères, essentiels pour définir qui nous sommes.
Ainsi, il existe des dangers très concrets associés au fait de se considérer comme trop indépendant et distinct de son environnement. Cela peut impacter notre bien-être (solitude, manque de lien aux autres) et même nos conditions de survie (non-respect de l’environnement et dégradation de ce dernier, au point de menacer notre existence même). Nous reviendrons sur ces questions dans la Partie IV. Une folle époque et dans la Partie V. La conquête du bonheur.
Il faut faire preuve de plus modestie et de clairvoyance sur qui nous sommes et de quoi nous sommes capables ou non
Distinction corps-esprit. En tant qu’être humain, avec notre vie mentale très riche et compliquée, nous avons tendance à perdre de vue certaines réalités fondamentales associées au système nerveux. Une de ces réalités, qui est aussi à l’origine d’un questionnement ancestral, concerne les liens étroits entre le corps et l’esprit. Les travaux récents en psychologie et en neuroscience montrent que, d’une manière générale, l’organisation du cerveau révèle l’architecture de l’esprit. Sur la base des connaissances actuelles, il est incontestable que le cerveau est le siège de la mémoire, de la personnalité et de la conscience, même si beaucoup de détails nous échappent encore.
Les mystères associés au cerveau restent nombreux. Par exemple, nos connaissances actuelles ne nous permettent pas d’avoir une compréhension du cerveau au niveau des circuits neuronaux. On comprend bien les mécanismes de base de communication entre quelques neurones. On comprend bien quelles aires cérébrales sont associées à quelles fonctions (aires du langage, système de mémoire, circuits du stress, circuits de la récompense, etc.). Mais on ne comprend pas vraiment comment des centaines (et moins encore des milliers ou des millions) de neurones s’organisent exactement pour donner lieu à certaines fonctions spécifiques.
Quoi qu’il en soit, il est clair que l’esprit influence le corps, et vice versa. Si vous ruminez sans cesse des pensées anxiogènes, vous activez constamment les circuits du stress de votre corps, avec des conséquences qui peuvent être importantes en termes de santé. À l’inverse, de nombreux phénomènes qui impactent le corps peuvent avoir des conséquences majeures en termes de bien-être et de santé. L’alimentation, le sommeil et l’activité physique, par exemple, peuvent avoir des répercussions importantes sur la santé mentale. Ces points seront repris plus en détail dans la Partie V. La conquête du bonheur.
En résumé, l’ignorance ou le déni des problématiques évoquées dans cette partie peuvent constituer un obstacle considérable à la connaissance de soi et au développement personnel, voire au développement de notre civilisation. Il ne s’agit pas seulement de réfléchir en théorie à des questions telles que «Qu’est-ce que la perception?», « Qu’est-ce qu’une émotion?», «Qu’est-ce que la créativité?» ou «Qu’est-ce que la conscience?». Il s’agit de mieux comprendre comment notre corps et notre esprit fonctionnent, quelles sont nos limites et potentialités, et qu’est-ce que nous pouvons faire pour éviter de tomber dans certains écueils parfois dramatiques.