Covid-19: Synthèse et perspectives

Chronique Covid-19
– Épisode 9/9 –

Cette crise du Covid-19 agit comme un révélateur et un catalyseur de nombreux problèmes et enjeux contemporains: excès du néolibéralisme et limites de la mondialisation, rapport malsain et dangereux au vivant et à l’environnement, menaces liées aux réseaux sociaux, désinformation, manque de confiance en l’État et en l’autorité en général.

Cet automne, le moral est atteint, l’inquiétude monte, le ras-le-bol est manifeste. On aimerait que le virus disparaisse et que tout redevienne comme avant. On est impatient que 2020 se finisse. Mais 2021 ne sera sans doute pas très différent. Même avec un vaccin, la bataille ne sera pas gagnée en trois mois. Même si le Covid disparaissait demain, de nombreux autres problèmes de fond, eux, ne disparaîtraient pas.

Vers un juste milieu

Il est important de reconnaître que cette période est anxiogène. Elle est également triste et décevante. N’essayons pas de supprimer ou d’ignorer ces émotions. Ignorer ou supprimer ses émotions mène à toute sortes d’excès (manger, boire ou fumer pour compenser, hurler sur des gens qui ne portent pas le masque, refuser toute forme d’opinion alternative, etc.).

Accepter ses émotions pénibles est donc une première étape dans la gestion de cette crise. Pour autant, il faut veiller à ne pas nourrir inutilement l’anxiété ou l’indignation. À cet égard, il est sans doute utile de se forger des opinions plutôt modérées. Un moyen d’y parvenir est de considérer certains arguments à la fois opposés et complémentaires. Petit florilège ci-dessous.

  • Le confinement est autoritaire et liberticide. Certaines personnes en ont beaucoup souffert. // Il était indispensable d’empêcher les rassemblements et de suspendre certaines activités (mais difficile de déterminer lesquelles).
  • Certaines personnes ont excessivement peur du Covid-19 (crainte de sortir, exigences sanitaires démesurées). // Certaines personnes sont trop laxistes avec le Covid-19 (refusent le port du masque, minimisent tous les risques).
  • Les médias participent activement à la diffusion d’une peur exagérée en répétant à l’envi des chiffres anxiogènes. // Certains médias offrent une analyse très complète et pertinente de cette crise (voir les références).
  • Cette crise profite aux puissants, des GAFA à l’industrie pharmaceutique en passant par les hypermarchés. // Certains géants, comme l’aviation, sont à terre. Tous les petits acteurs ne sont pas systématiquement perdants.
  • Les complots existent. L’industrie (pétrolière, textile, pharmaceutique, alimentaire) a parfois caché ou falsifié des informations. // Les dispositions légales empêchent les pires dérives. Les journalistes et la société civile peuvent aussi dénoncer.
  • Les gouvernements sont parfois corrompus, menteurs ou manipulateurs. Il est indispensable de réguler le pouvoir. // Les extrêmes satisfont un besoin de « bras d’honneur à l’autorité », mais sans vraiment apporter de solution.
  • Il existe des labos où des armes biologiques sont développées. Le Covid-19 pourrait en être échappé. // L’élevage de masse et le manque de respect pour l’environnement sont la cause de la plupart des virus émergents.
  • La censure sur les réseaux sociaux est un problème. Qui décide de quoi et comment? Jusqu’où cela ira-t-il? // Les réseaux sociaux participent à la désinformation. C’est un business model qui est problématique en soi.
  • Il y a un problème de bien-pensance, de politiquement correct ou de mollesse intellectuelle de la part des masses. // L’intégrisme de certaines mouvances est inquiétant. Tout rejeter en bloc, est-ce vraiment la solution?
  • Les vaccins contre le Covid-19 ont été développés très rapidement, on ne peut pas leur faire confiance. // Si ces vaccins font leurs preuves, ils seront un des piliers de la lutte anti-Covid et du retour à la normale.
  • La science n’est pas parfaite, des erreurs et excès sont commis. La bio-informatique et les nanotechnologies sont inquiétantes. // La science apporte essentiellement des réponses et des solutions. Elle permet aussi l’anticipation.
Éléments positifs

Au-delà des nombreuses incertitudes et de tous les aspects anxiogènes de cette crise, plusieurs choses positives a pu être mis en évidence: la vitesse à laquelle la science a résolu certaines questions liées à cette maladie, vaccin en tête; l’élan de solidarité exceptionnelle dont a fait preuve l’essentiel de la société; notre capacité à nous organiser pour gérer et dépasser cette crise. Les perturbations sont certes nombreuses, mais la résilience est immense.

Nous avons applaudi nos soignants au printemps. Cet hiver, ce sont aussi les jeunes, les artistes, les sportifs, les restaurateurs, les PME qu’il faudrait applaudir. Ce sont eux qui en cette période font les plus grands sacrifices pour que l’on puisse garder cette pandémie sous contrôle. Chacun d’entre nous a fait des efforts et des sacrifices, d’une façon ou d’une autre. Les applaudissements devraient être mutuels!

Cette crise a également montré qu’une certaine coordination mondiale était possible, notamment avec la mise en place de Covax, le plan de collaboration pour un accès mondial et équitable aux vaccins contre le virus. Pour résoudre les défis futurs posés par le réchauffement climatique, une coordination internationale sera indispensable. C’est donc une bonne chose qu’elle commence à se mettre en place.

Démocratie et société civile

Cette crise est peut-être aussi l’occasion de revenir à des processus plus démocratiques. Certains ajustements des mesures sanitaires pourraient éventuellement être discutés et résolus de façon plus délibérative – une démocratie plus directe, plus locale, moins centralisée. Tout au moins, il faudrait mieux expliquer pourquoi telles ou telles mesures sanitaires sont prises.

Pour faire reculer l’abstentionnisme tout autant que le complotisme, il serait sans doute utile de redonner aux citoyens une envie d’engagement politique, des moyens de se faire entendre. Il est urgent également de trouver des moyens pour amoindrir le poids de certains lobbies dans bon nombre de processus décisionnels. Tout ceci est important non seulement pour la crise du Covid mais aussi pour le futur.

Les conventions citoyennes peuvent compléter les autorités démocratiques élues, comme l’a fait récemment la convention citoyenne sur le climat en France. En étant épaulées par des comités d’experts, les conventions citoyennes peuvent émettre des avis et des recommandations éclairées. Ces conventions citoyennes ne se préoccupent pas d’un agenda politique ou de leur réélection. Ce n’est bien sûr pas une panacée; il peut y avoir aussi au sein de ces groupes des problèmes d’influence.    

Quoi qu’il en soit, grâce à Internet (et aux réseaux sociaux) le potentiel d’influence de la société civile est plus grand qu’auparavant. Les contestations peuvent s’organiser; les informations peuvent être partagées facilement; des fonds peuvent être levés rapidement. La contestation peut aussi se faire au niveau individuel, à travers la consommation, par le choix de ne plus acheter certains produits ou par le boycott de certaines entreprises.

Ne nous trompons pas d’ennemi; s’il y a un ennemi, c’est le néolibéralisme, certaines industries et multinationales, certains géants d’Internet. Même en admettant que nos gouvernements soient pris en otage par les lobbies, la dernière chose à faire dans une prise d’otages, c’est de tirer sur les otages! Et ne soyons pas trop ingrat: bien des gens vivent dans de véritables dictatures, dans lesquelles il n’est pas possible de protester, ni même de s’informer correctement.

Économie et écologie

On aime aussi souvent fustiger l’économie, comme si elle représentait ce qu’il y a de pire dans la nature humaine – la cupidité, l’exploitation des faibles, la destruction de l’environnement. Il serait plus exact de dire que c’est la consommation effrénée qui détruit l’environnement. Ceci implique que la responsabilité est aussi bien individuelle que systémique. Les entreprises produisent; les individus achètent.

Certes, la lutte entre l’entreprise et le consommateur est injuste, à cause de la publicité, qui ne recule devant rien donner envie d’acheter, et à cause du pouvoir de certains lobbies industriels, qui cachent les dangers ou les dégâts liés à leurs activités. Néanmoins, là aussi l’action individuelle est importante. Il est possible de consommer moins de choses, mais de meilleure qualité.

Sans entrer dans le détail des questions écologiques, il est frappant de constater à quel point les défis posés par le réchauffement ressemblent en fait à ceux posés par le Covid. On constate en effet deux similitudes majeures, qui ne peuvent que nous encourager à gérer cette crise du Covid comme un entraînement pour l’avenir :

  1. La crise requiert un comportement raisonnable et modéré au niveau individuel, afin de préserver certains acquis au niveau collectif. Cette modération implique une certaine « privation » de liberté, toute relative, mais difficile à accepter. (C’est la tragédie du bien commun: le conflit entre l’intérêt individuel et le bien commun.)
  2. Pour aborder correctement la crise, il faut se baser sur la science, prendre au sérieux les prédictions qui sont faites et reconnaître la nécessité de mettre en place certaines mesures. Il faut donc une bonne communication, une lutte contre la désinformation, une volonté de débattre de façon constructive, des processus démocratiques sains.

Le défi de l’information

Le défi concernant l’information est considérable. Depuis Internet, le monde de la connaissance est certes vaste et accessible, mais aussi plein de pièges. Il peut arriver de se tromper et de croire les mauvaises sources. Cela nous est tous arrivé plus d’une fois. Évitons d’accuser le moindre sceptique ou le moindre imprudent d’être un complotiste.

La nature humaine est ainsi faite. Le cerveau est fait pour chercher des explications. C’est d’autant plus vrai qu’on a le sentiment de ne rien comprendre et que l’on est submergé par la peur ou par un sentiment d’impuissance. Dans ce contexte, on veut tous quelques certitudes. Certains sombrent dans des certitudes alternatives douteuses, dans l’excès de méfiance ou de scepticisme. D’autres s’accrochent aux infos superficielles, sans esprit critique, sans analyse, sans intelligence.

Restons curieux, cherchons éventuellement des sources d’information alternatives, mais gardons une base solide. Méfions-nous des réseaux sociaux car ils renforcent la polarisation. L’algorithme de YouTube ne libère pas, il ne propose pas de variété, il enferme dans un univers restreint. Évitons de trop nous en remettre à la presse gratuite et aux infos diffusées sur Internet. Évitons l’agitation et la mousse stérile de l’info quotidienne, des journaux télé. Privilégions les grands médias publics et les médias indépendants, les dossiers de fond, les travaux d’analyse et de synthèse.

Idéalement, on devrait s’en remettre aux experts. Plus idéalement encore, la vulgarisation devrait être plus fréquente et plus efficace. Mais le monde est peut-être devenu trop complexe. L’absence de solution simple a quelque chose d’angoissant. Face à tout cela, la solution, parfois, est peut-être de tout simplement éteindre télé et téléphone, de refermer journaux et magazines, puis de profiter de quelques heures sans médias d’aucune sorte. Retrouver un peu de calme.

Moins, c’est plus

En dépit des nouvelles alarmantes qui tendent à nous envahir quotidiennement, il est très peu probable que le monde s’effondre demain. La robustesse et la résilience sont des caractéristiques intrinsèques à la plupart des sociétés. Et même si l’effondrement devait avoir lieu demain, ce n’est pas en lisant le journal ou en allant sur Facebook qu’on parviendrait à l’éviter!… Nul besoin de s’informer compulsivement tous les jours. L’analyse et la vision à long terme sont beaucoup plus importantes.

Les épreuves réelles associées à cette crise sont déjà considérables. Dans ce contexte d’adversité, évitons d’ajouter encore du stress lié à une consommation excessive de médias ou de réseaux sociaux. Cette crise est peut-être aussi une occasion unique de revenir à un mode de vie plus simple et moins agité, un mode de vie plus axé sur la qualité des relations humaines que sur la quantité. Tout ceci, le Covid ne nous en empêche pas; au contraire, il nous y encourage.

2 commentaires sur « Covid-19: Synthèse et perspectives »

  1. Bonjour, suite à votre commentaire sur mon blog (https://blogs.letemps.ch/jeremie-andre), je viens de lire votre chronique. Je trouve intéressant la manière avec laquelle vous complexifiez la situation autour du covid, afin d’éviter les clivages. Par contre, je ne vous rejoins pas sur les conclusions. J’ai l’impression que vous restez dans le domaine du quantitatif (excès de néolibéralisme, consommer moins), alors que j’estime au contraire qu’on ne peut pas sortir des crises sociales et écologiques que nous vivons sans apporter changements qualitatifs profonds (revoir entièrement les rapports de production, notre relation au travail, notamment).
    Meilleures salutations

    Jérémie André

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    1. Merci pour votre message! Entre un changement graduel insuffisant ou une révolution trop radicale, j’aime à croire qu’il y a un entre-deux possible. Mais ma volonté de trouver des compromis est peut-être en train de tourner à l’obsession 🙂

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